Journée découverte du 10 juin 2023
Compte rendu
La CDHA et la CHN se sont retrouvées pur une journée de découverte des châteaux et manoirs du Pas-de- l’Artois. Les quarante-et-un participants ont été accueillis au château de Berles-Monchel (construit entre 1730 et 1820 ; inscrit MH 2-5-2016) par Annie et Emmanuel de Calan. Les communications ont commencé aussitôt après le mot de bienvenue de François Duceppe-Lamarre, président de la CDHA.
Matthieu Fontaine a présenté la famille Tournois de Bonnevallet, de l’an X à 1936. Originaire de la Beauce, elle se fixe à Grenoble suite à des difficultés financières. Pour les deux fils, Jean-Claude et Clément, la Révolution sera le tremplin de leur ascension sociale, et synonyme d’une revanche sur le sort, que soutiendra une adroite stratégie matrimoniale…Tous deux s’engagent en 1791, et font toutes les campagnes comme officiers de la Révolution et de l’Empire. Clément rejoint le Pas-de-Calais, où il se marie à Saint-Omer avec une Grenet de Florimond puis s’installe à Paris, où il meurt en 1832. De ses deux fils, l’un, Jules, polytechnicien, décède la même année que son père en 1832 ; cette même année, l’autre, Abel, saint-cyrien, prend sa retraite. C’est désormais sur lui que repose l’avenir de la famille : il contracte une alliance flatteuse (1848) en la personne de Louise du Haÿs ; rapidement, la nécessité de se fixer honorablement l’entraîne à acquérir le château de Berles-Monchel (1852). Lui aussi est père de deux fils, Jules et Henri, qui marquent chacun l’histoire du village.
Jules, maire durant un demi-siècle (1885-1913), se distingue par sa gestion rigoureuse et pragmatique. Le dépouillement de ses archives domestiques montre l’étendue de ses relations dans le monde artisanal et de l’entreprise, sans négliger les relations sociales, comme la société hippique de Béthune et Saint-Omer : l’image qui en ressort est celle d’un propriétaire terrien influent. De l’union de son frère Henri (1849 – ? ; comte romain par bref pontifical en 1877) avec Marie Antoinette Achard de Bonvouloir naissent plusieurs enfants dont une fille, Madeleine, qui épouse Pierre de la Lande de Calan, grand-père des propriétaires actuels.
Au terme de quatre générations, les Tournois de Bonnevallet ont conquis leur place parmi les acteurs de l’histoire locale, à laquelle ils ont imposé leur marque.
Alain Triffaut présente ensuite Les Chroniqueurs. Suite à la refonte des communautés de communes, cette association historique locale a été créée en 2017 pour succéder aux Chroniqueurs de l’Atrébatie, fondée cinq ans plus tôt. Elle a pour but de rendre l’histoire vivante par la connaissance du territoire, en associant les habitants à ses activités. Inventifs et actifs, ses quinze adhérents organisent annuellement une manifestation, parfois deux, dans des domaines très variés et toujours dans des communes différentes : de l’Artois dévasté (1710-1711) en 2011, et les Grandes familles de l’Atrébatie (2012), à Foch à Aubigny-en-Artois (2014), aux écrivains qui se sont battus en Artois à (Villers Brûlin, 2016) … La liste, longue et diversifiée, atteste le dynamisme de l’association, qui s’intéresse autant à l’époque bourguignonne qu’à la Première Guerre mondiale.
Après une pause au cours de laquelle Emmanuel de Calan fait découvrir le parc (2 hectares) exécuté d’après un plan conservé de 1823, Michel Parenty présente les manoirs du Boulonnais, dont il a fait le sujet de sa thèse de doctorat en histoire (2020). L’exposé, construit en trois chapitres (le temps de la guerre ; les hommes et les femmes ; le temps de la paix) commence par une approche historique (les limites) et paysagère du Bas du Haut Boulonnais, et s’appuie sur l’hydrographie, la géologie qui détermine les matériaux, et donc la construction. Suit une indispensable mise au point sémantique sur les deux termes de manoir (construit sur une terre noble, dans un enclos défensif qui comprend une maison seigneuriale à tourelle, un colombier des jardins), dont la fonction est économique) et de château (maison fortifiée, où le châtelain, indépendant, exerce son pouvoir ; c’est le cas de Belle, de Montcavrel, de Pittefaux…) La construction obéit à des règles élaborées de longue date. Parmi les exigences : la présence et la qualité de l’eau, les matériaux de construction, la proximité des foires et marchés. En Bas Boulonnais, les manoirs s’implantent le long des cours d’eau, en Haut Boulonnais à proximité d’un puits.
Le repas, pris dans la cour de la ferme-auberge du château de Penin (inscrit MH 9-9-1975), où nous sommes accueillis par la famille Boutin, est un moment convivial et gastronomique apprécié.
Suit la visite du château de Chelers, que Luc et Marie-Brigitte de Colnet ont accepté d’ouvrir exceptionnellement pour notre groupe. Après une présentation de l’histoire du domaine, dans la famille depuis cinq siècles, la visite du château construit en 1746 par un Quarré de Chelers, et augmenté de deux pavillons à la fin du xixe siècle, réserve des surprises : le décor du salon, la richesse de la bibliothèque, l’intérêt du parc, où se côtoient buis, hêtres et chênes centenaires, et… des volières d’oiseaux exotiques.
De Chelers, le groupe file à Villers-Châtel (inscrit MH 15-6-2004). Nous y sommes reçus par Jean et Marie-Arnould de Franssu. L’histoire du château est celle d’une forteresse de la fin du Moyen Âge – dont il ne subsiste qu’une grosse tour ronde – transformée vers 1730 en un bâtiment classique. C’est au terme d’une longue succession de propriétaires que le domaine échoit aux de Florimond. L’un d’eux fait appel à Jean-Baptiste Béthune (1821-1894), le constructeur bien connu de l’église Saint-Joseph de Roubaix ; apôtre du néogothique, défenseur de l’ultramontanisme, Béthune applique une galerie contre l’édifice existant et augmente le château d’une aile en retour d’équerre, surplombée d’une haute tour carrée. La chapelle castrale, à quelques pas de là, est aussi sa création. Cette présentation des bâtiments est faite en binôme avec Gilles Maury, architecte, docteur en histoire de l’art, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture et du passage (ENSAP) de Lille, spécialiste du néogothique, qui souligne la rareté de la commande privée dans les réalisations du baron Béthune, et le caractère mesuré du néogothique ici mis en œuvre, qu’il s’agisse de l’architecture ou du décor, en accord avec un style de vie dépouillé de tout apparat. La visite se poursuit par une présentation du parc, où Mme Victor de Florimond fait construire une grotte de Massabielle en 1886, avec des pierres provenant de Lourdes : témoignage de la vitalité du culte marial en cette fin du xixe siècle, elle accueille toujours des cérémonies paroissiales. La journée s’achève par la visite de la chapelle castrale, au beau décor peint, couverte d’une voûte lambrissée.
Philippe Guignet

Château de Chelers. Cl. J. Froissart